Nicolas Kraska

Pour ce premier volet « des français de l’étranger », c’est Nicolas Kraska, rugbyman professionnel, qui a gentiment accepté de répondre à mes questions pour nous parler de sa nouvelle vie au Japon, qu’il a rejoint, après un début de carrière professionnelle qui arrivait en fin de cycle en France.

Nicolas Kraska rond

Quelles sont les raisons qui vous ont fait quitter la France pour le Japon ?

J’avais fait mes débuts professionnel, au Racing , on a été champion de France de Pro D2, j’ai connu deux sélections en France 7’s, et ensuite j’ai passé 3 ans à Albi. Lors de ma dernière année à Albi, le coach m’a dit clairement que je ne jouerai pas ou du moins  seulement les matchs galères (les matchs à l’extérieurs contre les gros de la poule, et les matchs contre qui il ne pensait pas gagner). Du coup, avec peu de visibilité, mes chances de rebondir étaient amoindries. Malgré, quelques contacts en Pro D2 et Fédérale 1, je me suis remis en question, j’avais 24 ans j’allais sur mes 25 ans.

Je n’avais pas pu faire d’Erasmus comme la plupart de mes amis, une envie de voir d’autres horizons se faisait de plus en plus forte. Par conséquent, j’ai commencé à me renseigner à droite à gauche, sur les différents championnats existant à travers le monde : Canada, USA, Hong-Kong, Australie et Japon.
De fil en aiguille, le Japon est devenu un point de chute idéal.
Un bon niveau rugbystique, un pays loin de la France, une culture complètement différente, en somme je voulais être dépaysé, et en plus, je pouvais repartir de zéro, « a fresh start » .

Cependant, je me suis rendu compte, très vite que le championnat Japonais, avait un quota d’étrangers très strict, et avec mes sélections pour la France à 7, j’allais avoir une concurrence trop forte avec les All Blacks, Wallabies et autres Boks… autant dire que ce n’était pas gagné d’avance.
Mais, je n’ai rien lâché, qui ne tente rien n’a rien, j’ai continué mes recherches, fais un CV, une vidéo et une lettre de motivation.

J’ai cherché sur Linkedin, des coachs de clubs de Top League et de seconde division.
Au même moment, une rumeur traîne dans les couloirs du rugby, suite à la participation du 7’s aux JO, si on répond à un certains nombres de critères, il sera possible de changer de nationalité.
Ma bonne étoile m’a souri, ayant des origines Thaïlandaise, j’allais pouvoir postuler pour jouer au Japon en tant qu’Asian Passport Holder, la chance m’a souri, et à partir de ce moment tout allait changer.
Je reçois des réponses 9 réponses négatives pour 10 mails envoyés. Pas intéressé, squad au complet… sauf les Toshiba Brave Lupus qui me propose de venir faire un essai. Chose que j’accepte avec joie.

Pour faire court, le test se passe bien, sur le point de signer, le manager du club, m’annonce qu’il manque une approbation de l’IRB concernant mon éligibilité à jouer pour la Thaïlande, alors que ça faisait 5 mois que j’avais effectué toutes les démarches, auprès d’eux, et de la fédération Thaïlandaise de rugby. L’IRB m’avait donné son feu vert, mais après vérification, il manquait juste un papier, une signature. Cette signature, je l’ai eu après 5 autres mois de travail administratif, mails, appels etc entre l’IRB, la FFR, TRL et JRFU. « Un vrai bordel »!!!!

En décembre, je reçois, à 3 jours de Noël, une offre de contrat de Toshiba de 2 ans, que j’ai accepté sans la moindre hésitation.

Que connaissiez-vous du pays avant d’y aller ?

Ca va faire très cliché, mais je ne connaissais rien du pays, à part les mangas, les ramens et Tokyo Drift… autrement dit, rien!

Quelle a été votre première impression sur place ?

J’étais complètement déboussolé, dépaysé, rien à voir avec la France.
Dès mon arrivée à l’aéroport, je me suis demandé ce que je faisais ici, tout était écrit en Japonais, à la vérification des passeports, pareil, pas un mot d’Anglais, les taxis, métros, restaurants, hôtels, un dépaysement de l’extrême.
Même chose, concernant le climat, en avril une chaleur étouffante et un soleil brûlant.

Niveau communication, comment gérez-vous, vous avez pris des cours de japonais, ça parle anglais, … ?

J’ai pris et prends encore des leçons de japonais, mais au quotidien, nous avons un traducteur, qui est quasiment 24 heures sur 24 avec les étrangers.
Et sur le terrain, on mélange anglais et japonais ultra basique. Mais même sur le terrain, le traducteur peut faire le porteur d’eau ou l’un des porteurs d’eau peut relayer les infos en anglais.

Comment s’est passée l’intégration dans le groupe ?

Les étrangers t’intègrent de suite, vu que l’on n’est pas beaucoup et qu’ils savent à quel point il est difficile de trouver ses repères et de s’intégrer à la société japonaise.
Quant aux Japonais, ils t’intègrent sans jamais réellement le faire. Un étranger reste un « Gaijin » pour eux, même après 4 ans ici. Je n’ai pas autant d’affinité que j’en aurais eu avec des étrangers dans un club en France.

Qu’est-ce qui vous a posé le plus de problème pour l’intégration ?

La barrière de la langue, les Japonais ne parlent presque pas anglais, et mon japonais est assez limité. La différence de culture est telle qu’il y a souvent des quiproquos, ou des choses qui nous paraissent normales en France, peuvent s’avérer être un outrage ou déplacées à leurs yeux.

D’un point de vue sportif, quelles sont les différences que vous avez rencontré, discipline, tactique, infrastructure, etc… ?

Les japonais, ont une vision assez différente du rugby, que celle que l’on a en France. Disons qu’ils ont parfois une vision assez utopique ou naïve tactiquement parlant.
Je ne veux pas être mauvaise langue, mais ils sont très fiers, et il est difficile de les convaincre que leur stratégie n’est pas la plus efficace, ou qu’elle peut être améliorée.
Ensuite, la plupart des clubs sont semi-pros, encore beaucoup de joueurs japonais sont des employés du club (entreprise), c’est à dire qu’ils travaillent lorsque la saison n’a pas commencé, ensuite lors de la prépa. physique, leur emploi du temps est aménagé, et ils ne travaillent que le matin, enfin une fois le championnat commencé ils ne travaillent que 45 minutes tout les matins.
Les clubs sont, honnêtement, en retard, sur les infrastructures sportives et médicales liées au rugby, du moins par rapport aux clubs que j’ai pu voir en France.
Les premiers mois sont assez déroutants puis on s’y fait, on trouve des alternatives, etc…

D’un point de vue sportif également, qu’est ce qui vous a surpris positivement, et inversement négativement ?

Les Japonais sont des machines de guerre de la prépa. physique, et du « conditionning », ils peuvent enchaîner les entraînements sans rechigner à la tâche, soulever de la fonte pendant des heures, courir des km sans la moindre grimace.
Ici, les standards du cardio. sont très haut. Par exemple, un ailier doit être au minimum au palier 20 au yoyo test (test de VMA, comme le Luc-Léger par exemple).
Ensuite, le rugby pratiqué ici est beaucoup plus jouissif à jouer qu’en France, beaucoup de déplacements, de courses, de passes, c’est un rugby qui se rapproche beaucoup du Super Rugby.
Pour le côté négatif, je dirais que les étrangers n’ont pas le même traitement de faveur face à l’arbitrage, il y a une justice à deux vitesses assez désagréable et incompréhensible.

Quelle est la place du rugby là-bas ? On l’imagine de plus en plus grande avec le mondial qui arrive ?

Le rugby est très populaire, au niveau universitaire, certains matchs rassemblent plus de 20 000 personnes au stade.
Alors que certains match de Top League, peuvent compter seulement 2000 à 3000 personnes.
Cependant, il y a du mieux suite à la victoire contre l’Afrique du Sud, il y a une recrudescence de l’intérêt porté au rugby et évidemment avec le mondial, le gouvernement matraque les médias de pubs pour en faire la promotion.

D’un point de vue social, dans la vie de tout les jours y a t’il des différences qui vous ont marquées ?

Le Japon est un pays très agréable, où il fait très bon vivre, propre, pas de criminalité, pas de sentiment d’insécurité, un service au client nec plus ultra.
Hélas, il y a bien des côtés désagréables, les étrangers ne sont pas forcément bien acceptés. il m’est arrivé un certains nombre de fois que l’on ne s’assoit pas à côté de moi ou de ma femme, dans les transports en commun ou au restaurant (sushi train par exemple dans lesquels tout le monde est assis les uns à côté des autres).
Ensuite, le pays est machiste voire misogyne, les femmes doivent se marier avant 25 ans, je crois, sinon elles sont « périmées », et elles sont destinées à être housewives… Rares sont les femmes qui sont cadres supérieur.
C’est peut être les différences qui m’ont le plus marquées d’un point de vue social.

Est-ce qu’il vous ait arrivé de douter, de vous demander ce que vous faisiez là ?

Evidemment, encore aujourd’hui, ça peut m’arriver, mais à chaque fois que je rentre à Paris, la qualité de vie au Japon me manque.

Une ou des anecdotes de galères que vous avez pu connaître là bas à cause de la différence de langue/culture ?

Ouvrir un compte en banque, effectuer un transfert, peut prendre 2 heures, chaque détail est vérifié, c’est un ping pong entre l’office lady et son supérieur.
Quand je dis que tout est vérifié, chaque ligne est vérifiée une par une, et attention si on a fait une rature ou une erreur, c’est reparti à zéro, on recommence tout, ou si on a de la chance le supérieur indique qu’il suffit de réécrire en dessous mais qu’il faut tamponner avec son hanko.

Acheter des lentilles, qui m’a pris 2 heures 30, parce qu’il faut d’abord souscrire au membership program de la boutique et ensuite de l’ophtalmologue associé à la boutique.
Ensuite, effectuer une vérification poussée de la vue, qui va jusqu’à vérifier la forme de mes yeux et la cadence du clignement des paupières.

En soit, il y en a tellement, il m’en arrive au quotidien.

Qu’est-ce qu’il vous manque le plus de la France?

La nourriture, on a, et je le dis haut et fort, la meilleure gastronomie du monde!
Et je dirais la vie parisienne, les bars, les bistros, l’architecture de la ville.

Inversement, qu’est-ce que vous ramènerez bien en France ?

La propreté, la sécurité qu’il y a ici, je n’attache jamais mon vélo dehors, je le laisse même avec mes courses sur le guidon, pars 20 minutes, et mon vélo est là, les courses accrochées au guidon.
Dans le métro, on ne risque pas de se faire voler son sac ou portable, pas besoin d’y faire attention, les japonais dorment dans le métro, leur sac rangé dans les compartiments supérieurs.

Publié par Borrego28

J'écris ces articles pour essayer de faire découvrir des athlètes, disciplines, événements ou facettes du sport trop peu reconnus et médiatisés à mes yeux.

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